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DE qui parlons-nous quand nous prononçons le nom de Moïse ? D’un personnage historique ayant réellement existé au XIIIe siècle avant notre ère et qui a libéré son peuple de l’oppression dans laquelle il se trouvait en Egypte ? Ou d’un héros éponyme, dont le nom symbolise l’évolution du peuple hébreu, et plus tard des enfants d’Israël, vers un monothéisme strict ? Est-il question ici d’histoire ou de mémoire ?
Du Moïse de l’histoire, nous savons aujourd’hui… que nous ne savons rien ! Seule nous reste sa légende, c’est-à-dire la mémoire de Moïse, racontée et célébrée, ô combien, par la Bible. Si nous parlons des révolutions dont « Moïse » fut le héros, il s’agit donc toujours de l’œuvre que les textes bibliques lui attribuent, de la lecture qu’ils en font, et non pas des exploits d’un individu réel qui aurait vécu au XIIIe siècle avant notre ère.
Rappelons que le cœur de la doctrine biblique a été rédigé autour des VIIe et VIe siècles avant notre ère (c’est-à-dire avant, pendant et après l’Exil du peuple juif qui fut déporté à Babylone au VIe siècle), et non de l’époque de la sortie d’Égypte (laquelle aurait eu lieu – si elle a eu lieu ! – entre 1250 et 1200).
Tout au long du texte biblique, la figure de Moïse domine l’ensemble des autres. De manière directe dans les récits de la Torah, les cinq premiers livres de la Bible (qui forment le Pentateuque), dont quatre – Exode, Lévitique, Nombres, Deutéronome – sont consacrés à la saga de Moïse, ou, indirectement, dans les autres livres, qu’ils soient historiques, prophétiques ou de sagesse.
Partout est en jeu l’instauration et l’autorité d’un Dieu unique, partout doit s’imposer Sa Loi, partout il importe de se souvenir des hauts faits d’autrefois, et notamment de la libération de la servitude d’Egypte.
L’homme qui a vu Dieu « face à face »
Dans la Bible elle-même, Moïse n’est pas présenté comme un révolutionnaire, mais comme un homme d’une stature exceptionnelle, sans équivalent, celle que Michel-Ange a « saisie » pour l’éternité dans l’église Saint-Pierre-aux-Liens de Rome, et qui a subjugué Freud et tant d’autres. Une statue géante de 2,35 mètres, où Moïse, semi-assis, affiche un visage empreint de colère froide, avec les « cornes » censées représenter son flamboiement, les Tables de la Loi coincées entre l’accoudoir et la main droite, juste avant de les briser, peut-être parce qu’il a découvert le veau d’or confectionné par le peuple pendant le séjour interminable de leur guide dans la montagne de Dieu.
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Mais quelle est cette grandeur unique de Moïse ? La réponse se trouve à la fin du Deutéronome, où est racontée sa mort. Depuis le mont Nébo, au sommet duquel Dieu lui a ordonné de se rendre, il contemple encore avant de mourir la Terre promise, de l’autre côté du Jourdain. Il n’y entrera jamais. Le texte commente sobrement : « Il ne s’est plus levé en Israël de prophète comme Moïse – lui que YHWH [Dieu] connaissait face à face… » (Deutéronome 34, 10-12).
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Selon la Bible, nul ne peut voir Dieu sans mourir. Moïse, et lui seul, est l’homme resté vivant après que Dieu lui a accordé de le voir « face à face ». La vie du Dieu vivant est en effet un « feu dévorant » : comme le buisson ardent, elle brûle sans se consumer. Pour Moïse, ce privilège deviendra une fatalité. Car, après avoir connu la face brûlante de Dieu, son visage se met à réfléchir le feu divin et à flamboyer ; il devra le couvrir en sortant, de peur de brûler à son tour ceux qu’il rencontre.
L’instauration du monothéisme fut en réalité une laborieuse construction
D’autre part, confirmant à sa manière les constats de la science moderne, il est dit dans le même passage que « jusqu’à aujourd’hui nul ne connaît sa tombe ». Sa trace historique s’est perdue, contrairement à celle des grands patriarches : tous – Abraham, Isaac, Jacob, Joseph, mais aussi le roi David et ses successeurs – possèdent un tombeau, toujours vénéré par les foules. Pas Moïse. Comme si l’homme qui a vu Dieu de son vivant sans mourir avait été ravi directement au ciel avec son corps (seul le prophète Elie a eu ensuite ce privilège). Comme si son tombeau était le texte biblique lui-même.
Laissons de côté la présence éventuelle, dans le monde antique, d’autres types de monothéisme. Incontestablement, celui qui est attribué à Moïse, devenu la religion d’un peuple, a été, et lui seul, un événement fondateur de civilisation. Evénement qui a changé la face du monde.
Images interdites et nom imprononçable
Dans le livre de l’Exode, aux chapitres 19 et 20, le récit raconte une révélation subite, survenue au cours d’une théophanie (une manifestation de Dieu) grandiose : Moïse, qui était monté sur la montagne du Sinaï à la demande de YHWH, le dieu des volcans, redescend dans les éclairs, le tonnerre, avec la terre qui tremble et la montagne qui fume, au son du cor et dans un bruit terrifiant… pour proclamer devant le peuple rassemblé les Dix Commandements. Le premier est d’une concision lapidaire : « Tu n’auras pas d’autres dieux que moi ! »
Ce qui peut certes signifier deux choses : tu n’auras qu’un seul (petit) dieu tribal ou national, par exemple YHWH, le dieu des volcans ou des orages, dieu d’Israël, unique – mais très semblable à tous les dieux du Proche-Orient ancien. Ou, au contraire, ce sera le seul Dieu des hommes, transcendant les différences de langues, de tribus, d’ethnies et de nations, un Dieu universel. C’est cette dernière interprétation qu’il faut privilégier.
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Sauf que l’instauration du monothéisme fut en réalité une longue et laborieuse construction, étendue sur des siècles et sanctionnée par des « alliances successives », avec des périodes de régression consacrées au culte d’autres divinités…
Deux aspects spécifiques de ce monothéisme, qui auront une grande et contradictoire postérité aussi bien dans le christianisme que dans l’islam, doivent être soulignés. D’abord, il est finalement logique, puisque nul ne peut voir Dieu sans mourir, que soient rigoureusement interdites les images de Lui. C’est l’injonction du second commandement : « Tu ne te feras pas d’images sculptées… » C’est l’autre révolution du monothéisme.
Voir une voix
Pourquoi interdire l’image ? Parce que les images fascinent, séduisent, falsifient, illusionnent sur la connaissance du « Dieu caché ». Le « Tout Autre » transcendant n’est pas Celui qu’elles prétendent qu’Il est. Ce serait une sorte de maîtrise (trompeuse) sur Lui, et de Lui sur nous. Aussi les Hébreux n’ont-ils vu au Sinaï « aucune forme, mais uniquement une voix » (Deutéronome 4, 12), celle de YHWH qui leur parlait du milieu du feu. Voir une voix : telle est la condition étonnante du monothéiste selon Moïse !
Le nom prononcé fait entrer dans le secret de celui qui le porte
Il en va de même pour le nom de ce Dieu : YHWH, quatre consonnes sans voyelles que l’on nomme le tétragramme et qui constituent un nom imprononçable. Dans la tradition biblique, le nom, lorsqu’il est prononcé, donne prise, fait entrer dans le secret de celui qui le porte. Or, le secret de Dieu est par définition inaccessible à l’homme ! Quand le nom YHWH se rencontre dans la lecture d’un texte liturgique ou autre, un titre vient dire l’ineffable : Adonaï, « Seigneur », ou le pluriel Elohim – littéralement « les dieux » – comme si Dieu comprenait en lui seul tous les dieux possibles, toute la pluralité de l’existant : Dieu un, mais en lui-même pluriel, et donc Vie.
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Si YHWH ne peut être vu ni ne saurait être nommé, c’est en revanche un Dieu qui parle, d’abondance et fort. Il est Parole et, par cette parole, il exprime toutes les nuances des aspects humains, de l’extrême tendresse à la violence sans retenue. Anthropomorphisme de la parole donc, mais pas de l’image.
Que de querelles cette conception engendra ensuite dans le christianisme : conflits internes avec les « iconoclastes », qui refuseront voire détruiront toutes les images saintes ; conflits externes avec les juifs et les musulmans. Sans compter bien sûr l’accusation de retour au polythéisme, puisque, dans le dogme chrétien, Jésus est Dieu.
Un monothéisme éthique
Mais le monothéisme né de Moïse est aussi un monothéisme éthique : à l’altérité du Dieu unique répond l’altérité de l’autre humain, à respecter infiniment, à aimer. Non pas que cette conception soit tout à fait originale : on trouve dans le Proche-Orient ancien des attestations d’une véritable éthique du prochain, mais elles sont dispersées et restent souvent confinées à des situations particulières. Ainsi de la célèbre stèle du roi Hammourabi de Babylone, conservée au Louvre et historiquement proche (XVIIIe siècle av. n. è.) de l’époque présumée de Moïse : ce code de lois décrit un idéal de justice en évoquant de nombreux cas particuliers.
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A l’inverse, les commandements envers autrui du Décalogue obligent et interdisent avec une concision incomparable, qui leur donne d’emblée une portée universelle : « Tu honoreras ton père et ta mère. Tu ne tueras pas. Tu ne commettras pas d’adultère. Tu ne voleras pas. Tu ne commettras pas contre le prochain de faux témoignage. Tu ne désireras pas la femme de ton prochain, ni sa maison, ni son serviteur… ni rien de ce qui est à lui. »
L’insistance éthique est fortement présente, même dans les obligations cultuelles. Par exemple, le jour sacré du sabbat : il faut l’observer parce que c’est le septième jour, où Dieu lui-même s’est reposé, comme l’indique le livre de l’Exode.
Moïse n’a été que l’instrument un peu passif de la libération
Mais selon la version du Deutéronome (Dt 5, 12-15), c’est pour que « ton serviteur et ta servante puissent se reposer, comme toi ». Parce que tu dois te souvenir (Zakhor !, « Souviens-toi ! ») que toi aussi tu as été esclave en Egypte et que tu aurais bien aimé te reposer… Monothéisme éthique ? Ethique du prochain ? Sans doute, mais si l’on suit les thèses de Jan Assmann (Le monothéisme et le langage de la violence, Bayard, 2018), on peut aussi lire l’histoire de Moïse autrement. Il insiste sur la « distinction mosaïque », sur le « monothéisme exclusif » dont Moïse aurait été l’inventeur, c’est-à-dire une religion qui distingue entre la vraie religion et les autres (fausses par définition), qui exclut radicalement le ou les dieux des autres, qui en fait même, comme de leurs adorateurs, des ennemis à combattre et à éliminer.
Autrement dit, Moïse serait l’inventeur de l’intolérance religieuse, laquelle a gangrené les trois monothéismes, judaïsme, christianisme et islam, et explique nombre de facettes sombres de leur histoire, en particulier de l’histoire du christianisme quand il été conquérant et dominant dans de larges aires du monde, en connivence profonde avec ou instrumentalisé par des pouvoirs politiques intéressés avant tout par la domination et la conquête.
Dans l’histoire biblique, où la mémoire du passé (des alliances et des promesses, des hauts faits et des fautes) tient une place décisive, le rappel des événements d’Egypte – l’oppression et la libération – est très fréquent.
Dans le passage du Deutéronome, déjà cité, sur la mort de Moïse, son rôle sans pareil dans le départ d’Egypte est bien souligné : « Aucun prophète ne s’est levé en Israël (…) qui ait accompli tous ces signes et tous ces prodiges que YHWH l’avait envoyé accomplir dans le pays d’Egypte, devant Pharaon (…) et qui ait agi avec la main puissante et la grande terreur que Moïse a déployées aux yeux de tout Israël. »
Jean-Claude Gautron <jcgautron75@gmail.com>
17:12 (il y a 35 minutes)
À Jean-Claude
---------- Message transféré ---------
De : Jean-Claude Gautron <jcgautron75@gmail.com>
Date : sam. 10 mai 2025 à 17:09
Objet : Moïse
À : Jean-Claude Gautron <jcgautron75@gmail.com>
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